Saloua Raouda Choucair ou quand l’art a une âme

Saloua Raouda Choucair: Enfin une rétrospective dédiée à cette grande artiste (la derniere a eu lieu en 1974!). Organisée par Saleh Barakat de la Galerie Agial et Hala Choucair, la fille de l’artiste de la Fondation Saloua Raouda Choucair. L’exposition a lieu du 27 Septembre au 13 Novembre 2011 au Beirut Exhibition Center.

Saloua Raouda Choucair remplit l’espace frigide du BEC (Beirut Exhibition Center) en mettant toute son âme dans le bois, le marbre, le métal, les pierres de tout genre,  la terre, même le plastique… aucun matériau n’est trop noble ou trop banal pour que l’artiste l’attaque avec toute sa force créatrice.

L’exposition est divisée en 8 parties. La première, ‘Bored with Realism, 1941-1949, est consacrée à la première rébellion de Choucair contre le réalisme, une période qui est constituée des exercices et croquis d’étude à la mine auxquels succèdent des gouaches. L’on observe une petite évolution vers l’abstraction dans les gouaches sur le mur d’à coté. Mais ceci est surtout visible dans les trois tableaux placés en face du mur où sont placés les croquis. Un buffet fait son apparition-il aurait peut-être été plus à son avantage au centre de l’espace afin que la modernité du meuble soit visible à 360 degrés. Un autre léger point noir: une reproduction sur le grand mur du fond, dont la qualité d’impression laisse pour le moins à désirer.

La deuxième partie est intitulée ‘Trajectory of a Line 1951-1961’, ou la trajectoire d’une ligne, qui prend Choucair de la rébellion contre le figuratif à un abstrait extrêmement épuré. Un abstrait qui se rapporte à la magie et au spirituel, une géométrie des lignes dans l’espace infini: l’artiste choisit un plan de cet espace, sa toile ou son tapis, pour y définir ses lignes. Saloua Raouda Choucair a sans doute voulu décrire l’indescriptible, l’indéfinissable, poussée par sa fascination par l’art islamique, ses formes géométriques et surtout la façon dont ses lignes suivent une trajectoire pour définir des formes qui peuvent se métamorphoser à l’infini.

Duels et tiraillements multiples: réalisme contre abstrait mais aussi déchirement engendré par la guerre civile libanaise que l’artiste a entièrement vécu au Liban. Un bois brut adouci par les mains de l’artiste qui en deux (ou plus) formes distinctes mais fusionnelles, impliqués dans une relation où se mêlent douceur et tension. Ces Duals (1975-1985, 3eme partie) caractérisent l’œuvre de Raouda Choucair entre le début de la guerre et 1985, et précédent des créations inspirés par la poésie arabe. Ces sculptures plus anciennes (1960-1968, 4eme partie) sont composées de plusieurs éléments qui sont à leur tour des œuvres en bonne et due forme.

Tout comme les mots se succèdent dans un poème sans perdre de leur valeur, pris chacun seul, les éléments de chacun des Poems vibrent aussi pris indépendamment l’un de l’autre dans une harmonie cohérente.

Des créations du moins poétiques qui s’offrent à notre regard. Le quatrième groupe d’œuvres est inspiré par les poèmes arabes, d’après le texte qui les accompagne. Ses sculptures qui sont composées de plusieurs éléments qui peuvent se défaire, sans avoir une moindre importance car chaque élément peut se tenir seul. La recomposition, elle est programmée selon un ordre bien spécifique pour pouvoir rassembler toutes les pièces ensembles. Tout comme les poèmes sont formés de mots mis l’un à la suite de l’autre, sans qu’un mot prononcé seul perde de sa valeur; de cette façon s’accordent les pièces de chacune des œuvres mises sous le titre de ‘Poems’ et qui couvrent de 1960 à 1968.

On revient ensuite à la période précédent la guerre avec Trajectory of the Arc où les œuvres fragiles mais imposantes, en métal, fil de plastique, plastique transparent, lentille en plastique… reflètent toute la lumière artificielle du BEC et la transforment en des vibrations quasi-tactiles. La lumière, un des points faibles de l’exposition, ne rend pas justice aux œuvres.

Dans la cinquième partie de l’exposition intitulée  ‘Modules:Paintings 1947-1957, Sculptures 1980-1985’, on touche à l’essence du fonctionnement pratique des divisions et calculs que l’artiste effectuait pour explorer les possibilités d’assemblage infinies de l’objet et de  l’unité.

Son travail que ce soit en deux dimensions ou en trois, en atteint presque une autre, au-delà du quantifiable: celle de l’infini, des formes idéales avec un grand I, de l’essence même du moderne dans le constant dynamisme de l’objet, sculpte mais jamais figé. Des créations à l’image de l’artiste.

Au-delà de la sculpture, Raouda Choucair a aussi réalisé des Water and Garden Projects entre 1970 et 1990, des projets fantastiques non realises de fontaines atypiques et de jardins fantomes…Ces creations imaginaires touchent toujours les themes directeurs de l’oeuvre de Choucair-sa recherche de l’infini, d’un certain ordre cosmique present aussi bien au niveau des galaxies qu’a celui de la texture du bois, et meme de l’ADN humain, un sujet qu’elle explore entre 1990 et 1996, sa Late Period (8eme partie). Ici, des sculptures massives en metal brillant se transforment comme par magie sous l’emprise de l’éclairage artificiel.

Une photo de l’atelier de l’artiste à l’entrée de l’exposition est placée peut-être pour dire, d’une certaine manière qu’on l’a rendu présent dans cet espace d’exposition. Ce lieu mythique, presque mystique, lieu de vie de la relation entre l’artiste et ses créations, multiples- pour Raouda Choucair, ses sculptures, mais aussi ses bijoux, ses tableaux, ses tapisseries et ses objets décoratifs.

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